vendredi, 17 octobre 2025 06:14

Julie London : London by Night (Liberty Records, 1958)

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Julie London - London by Night

Cordes Sensibles & Paillettes Symphoniques

Une chronique où l’on écoute la musique comme on feuillette un vieux magazine : lentement, en laissant le parfum du papier et la mémoire des mélodies s’attarder. Ici, les arrangements ont des reflets de soie, les voix sentent le crépuscule, et chaque disque rappelle que la Hi-Fi, avant d’être technique, fut une histoire de cœur et de rêve.

Julie London – London by Night (Liberty Records, 1958)

La dame au murmure de velours

Avant d’être la muse des noctambules, Julie London fut une actrice hollywoodienne au charme incandescent. Née en 1926 à Santa Rosa, Californie, elle débute au cinéma avant qu’un micro et une lampe tamisée ne fassent d’elle une légende du torch song. En 1955, son Cry Me a River l’immortalise : deux minutes et demie de pure intimité, où le jazz devient murmure. Sa carrière s’étendra sur près de quinze ans et une trentaine d’albums, presque tous marqués par cette voix à la tessiture restreinte mais à la sensualité infinie. Peu de moyens, peu d’effets — juste une femme qui semble chanter pour un seul auditeur à la fois.

Julie London

L’album

Le vinyle tourne, doucement, comme une horloge fatiguée qui mesure autre chose que le temps. Mon mug de café décaféiné refroidit lentement, abandonné sur le bord du bureau. Il est plus que tard — cette heure où la nuit semble n’appartenir à personne, sinon à la mémoire. Les pensées s’étirent, s’emmêlent. Et dans ce silence habité, la voix de Julie London s’invite, feutrée, immobile, presque irréelle.

London by Night, c’est 1958. Une Amérique qui s’endort sur les balancements du rock’n’roll, pendant que Julie, elle, reste fidèle à ses balades de velours et à ses orchestrations tamisées. L’album, arrangé par Pete King, déroule une suite de chansons nocturnes — In the Middle of a Kiss, That Old Feeling, My Mann's Gone — autant de paysages intérieurs où l’on marche sans but, les mains dans les poches du souvenir.

La prise de son Liberty garde cette proximité troublante : Julie ne chante pas, elle respire à quelques centimètres du micro, et tout à coup on croit sentir le grain de sa voix au creux de l’oreille. Pas d’artifice, pas d’éclat. Juste cette présence désarmante, à la fois distante et intime, comme une conversation murmurée à la lumière d’une lampe basse.

Et puis, il y a ce sentiment diffus, insistant, que tout était mieux avant. Pas forcément plus brillant, ni plus heureux — juste plus lent, plus vrai. Peut-être est-ce la jeunesse qu’on entend là, quelque part entre les craquements du sillon et les soupirs de trompette.

Quand Cloudy Morning referme l’album, on hésite à lever le bras du tourne-disque. Il est tard, oui, mais la nuit, elle, ne veut plus partir.

Julie London

Dans l’ombre du micro

London by Night a beau sembler d’une simplicité désarmante, c’est en réalité une petite pièce d’orfèvrerie du label Liberty, réunissant plusieurs artisans du son californien de la fin des années 1950. Voici les principaux protagonistes :

Julie London

Bien sûr, la voix — et quelle voix. C’est son cinquième album studio pour Liberty, enregistré dans la foulée du succès de About the Blues et de Make Love to Me. À cette époque, Julie est déjà une star discrète : icône des pochettes suggestives, muse de l’élégance minimaliste.

Pete King – Arrangeur et chef d’orchestre

C’est Pete King qui signe les arrangements et dirige l’orchestre. Moins connu du grand public, il fut un orchestrateur régulier de la scène hollywoodienne, travaillant aussi bien pour Nat King Cole que pour Mel Tormé.
Sur London by Night, il tisse un écrin soyeux où les cordes glissent comme un brouillard londonien — jamais envahissantes, toujours au service du murmure de Julie.

Bobby Troup – Producteur artistique (non crédité officiellement)

Mari de Julie London et compositeur du classique Route 66, Bobby Troup fut souvent présent dans les coulisses de ses sessions.
Bien que non listé comme “producer” sur la pochette originale, il supervisait étroitement la direction musicale et le choix des titres. On lui doit en grande partie la cohérence feutrée de l’ensemble — un concept album avant l’heure.

Ted Keep – Ingénieur du son

Un nom respecté chez Liberty. Ted Keep, vétéran du studio, avait cette science rare de la prise de voix “de proximité”, typique des disques de Julie : un micro placé tout près, une légère compression à lampes, et beaucoup d’air autour. Le résultat : cette sensation qu’elle chante littéralement dans votre salon, à une heure indécente.

Pete King et son Orchestre

Pete King (1914–1982) n’est pas un chef d’orchestre de jazz “visible” à la manière d’un Nelson Riddle ou d’un Billy May. Il appartient à cette caste feutrée de musiciens-arrangeurs de la côte Ouest — techniciens d’orchestre formés à l’école du cinéma, qui savaient colorer un murmure sans jamais couvrir la voix.
En 1958, King est déjà un arrangeur très demandé à Hollywood. Il travaille pour Liberty Records, mais aussi pour Capitol et RCA, dans un registre qu’on pourrait qualifier de lush orchestral pop : des orchestrations riches, mais sans emphase, où les cordes et les vents dessinent une atmosphère plutôt qu’un décor.

- Pour Julie London, il conçoit dans London by Night un style d’accompagnement très personnel :
- Une section de cordes abondante, mais jouée pianissimo, avec des attaques légères et beaucoup d’air entre les phrases.
- Des vents et bois (souvent clarinette, hautbois, cor anglais) pour la brume.
- Une harpe omniprésente dans les transitions.
- Une section rythmique minimaliste, parfois réduite à un piano et une contrebasse, sans batterie perceptible.
- Et, surtout, une voix enregistrée très proche, que l’orchestre ne vient jamais heurter : King compose “autour” d’elle, comme si Julie était déjà dans la pièce et que les musiciens entraient sur la pointe des pieds.

Ce n’est donc pas un big band, ni un orchestre symphonique complet : plutôt une formation de studio hollywoodienne d’environ 25 à 30 musiciens, où les cordes forment la base et les cuivres ne servent qu’à souligner une émotion. On retrouve dans ce traitement le goût des arrangements cinématographiques de l’époque, quelque part entre Hugo Winterhalter et Gordon Jenkins — mais plus subtil, plus moderne, plus “Liberty”.

 

+ À écouter : tard, seul, sur vinyle, quand le café n’a plus d’ardeur et que les pensées se font tendres.
+ À retenir : l’orchestre de Pete King comme une brume bien élevée, la proximité quasi-confessionnelle de la voix, et cette évidence tranquille : avant, peut-être, tout avait un peu plus d’âme.

Épilogue

Et quelque part, la nuit continue de chanter. Les sillons se referment, les lampes s’éteignent, mais il reste ce murmure — celui d’une époque où l’on savait encore écouter sans rien dire.

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