Un disque de transition
Sorti en 1975, Crisis? What Crisis? se situe dans l’ombre prestigieuse de Crime of the Century (1974), qui avait marqué le véritable envol de Supertramp. L’album souffrit longtemps d’une réputation injuste : moins de tubes immédiats, une production jugée plus sobre, un ton parfois plus introspectif. Pourtant, c’est précisément dans cette relative discrétion que réside une part de sa richesse.
On y trouve un groupe en pleine affirmation, encore animé par une soif d’expérimentations, cherchant l’équilibre entre pop mélodique, sophistication progressive et touches jazz. Les claviers chatoyants de Rick Davies (1944-2025) et la voix singulière de Roger Hodgson s’y répondent dans une alchimie déjà totalement reconnaissable.
Les trésors cachés
Parmi les morceaux, il en est un qui m’a toujours bouleversé : Another Man’s Woman. Pépite trop méconnue du grand public, cette chanson prend des allures de fresque jazzy portée par un solo incandescent qui m’emportait alors ailleurs. Adolescence oblige, j’y trouvais un échappatoire, une forme de révélation intime.
Il y a aussi A Soapbox Opera et sa dramaturgie à la fois naïve et sincère, ou encore Sister Moonshine, petite perle de folk-rock lumineux qui ouvrait l’album avec fraîcheur. Autant de morceaux qui témoignent de la capacité du groupe à marier accessibilité et sophistication, émotion directe et recherche musicale.
Une réception contrastée
À sa sortie, Crisis? What Crisis? fut accueilli avec moins d’enthousiasme que son prédécesseur. La critique le considéra souvent comme une œuvre mineure, manquant de l’éclat et de l’unité de Crime of the Century. Pourtant, avec le recul, beaucoup de commentateurs le réévaluent aujourd’hui comme une étape essentielle, un jalon discret mais précieux de la trajectoire du groupe, annonçant la pop symphonique éclatante de la fin des années 70.
Supertramp, éternel compagnon
En réécoutant ce disque aujourd’hui, je mesure combien il m’a accompagné, combien il fait partie de ma propre histoire. Ces trésors, parfois éclipsés par les grands succès, forment pourtant le socle de cette relation intime que chacun entretient avec un groupe aimé.
Et maintenant que Supertramp s’éloigne définitivement de la scène, il ne reste que ces échos : ceux d’une époque révolue, d’une jeunesse portée par la fébrilité de chaque sortie, d’un univers sonore qui nous construisit. Oui, une douce amertume étreint l’âme face à ces adieux définitifs. Mais au milieu de la nostalgie, une certitude demeure : tant que résonneront les premières notes de Another Man’s Woman ou d’A Soapbox Opera, Supertramp ne disparaîtra jamais vraiment.