Physical Graffiti : Le Blues Électrifié Jusqu'à l'Overdose - 50 ans de décibels
Par Fred Duvieuxfour
Chronique Rétroactive - Février 2025, pour les 50 ans de l'album
Un demi-siècle. Voilà maintenant cinquante ans que les bacs des disquaires ont accueilli pour la première fois ce monument de démesure qu'est "Physical Graffiti". Cinquante ans que ce double album, sorti en février 1975, continue d'influencer de jeunes musiciens qui confondent toujours volume et virtuosité. À l'époque, j'écoutais le dernier album de Keith Jarrett, quand mes confrères plus "branchés" s'extasiaient devant ce qui allait devenir la pierre angulaire d'un certain rock.
L'année où ce mastodonte est sorti des studios, Weight Watchers voyait le jour, et force est de constater que cet album aurait bien eu besoin d'un régime similaire. Dès les premières mesures de "Custard Pie", nous sommes assaillis par un riff qui tente maladroitement de recréer l'intensité d'un Blind Willie Johnson, mais qui sonne plutôt comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Robert Plant, ce Pavarotti du hurlement, pousse des "Oh mama, the way you move" avec la subtilité d'une locomotive à vapeur, là où Billie Holiday aurait su insuffler une véritable émotion avec un simple murmure.
Page, ce guitariste qui, un demi-siècle plus tard, reste vénéré comme nous vénérions Django, développe dans "Kashmir" un riff oriental répété ad nauseam pendant huit minutes et vingt-huit secondes (oui, j'ai chronométré cette torture). En 1975, pendant que Miles Davis explorait de nouvelles frontières sonores avec intelligence, Led Zeppelin préférait marteler nos tympans avec une obstination digne d'une meilleure cause.
"In My Time of Dying", leur tentative de blues traditionnel, transforme un spiritual séculaire en une démonstration de décibels qui, depuis maintenant 50 ans, fait se retourner Son House dans sa tombe. Le slide guitar de Page, certes techniquement impressionnant, ressemble plus à un exercice de style qu'à une réelle compréhension de la tradition du Delta.
La production, d'une densité digne d'un pudding anglais trop cuit, étouffe les rares moments où une réelle musicalité pourrait émerger. Dans "Trampled Under Foot", ils osent même recycler le riff de "Superstition" de Stevie Wonder - un emprunt qui, cinq décennies plus tard, reste aussi flagrant qu'un accord de power chord dans une sonate de Mozart.
Les jeunes d'aujourd'hui, comme leurs parents en 1975, parlent toujours de "chef-d'œuvre du rock". Je suppose que lorsqu'on célèbre le cinquantenaire d'un album où la subtilité se mesure aux watts des amplificateurs, on peut effectivement qualifier cela de chef-d'œuvre. Un demi-siècle plus tard, je préfère y voir un témoignage sociologique intéressant de comment une génération - et maintenant celle de leurs petits-enfants - confond volume et virtuosité.
Cinquante ans après sa sortie initiale en ce froid février 1975, je me retrouve avec la même migraine tenace et la conviction inébranlable que John Coltrane avait raison : la véritable révolution musicale ne nécessite pas de faire saigner les oreilles de son auditoire. Ce soir, comme il y a 50 ans, je retournerai à mon "A Love Supreme" pour me rappeler qu'une note bien placée vaut mieux que mille accords saturés.
Mais il faut bien l’admettre : Physical Graffiti est un monstre. Un monstre bruyant, certes, mais un monstre fascinant. Il y a du génie dans ce chaos, de la maîtrise dans ce déluge d’électricité. Et si je devais l’admettre à voix haute, je dirais que ces gamins ont peut-être, juste peut-être, trouvé une manière de capturer la fureur et l’improvisation du jazz sans avoir besoin d’un saxophone.