"Le Paris Audio Video Show 2024 : Chronique d'un naufrage annoncé"
Chronique non sollicitée d'un visiteur qui préfère garder l'anonymat, pour éviter d'être banni à vie du monde audiophile
En ce dimanche d'été indien où les Parisiens brunissaient aux terrasses des cafés, je m'engouffrais dans ma berline électrique - parce qu'il faut bien jouer le jeu de la vertu écologique contemporaine - direction la Mecque annuelle de l'esbroufe acoustique : le Palais des Congrès de Paris. Un bâtiment aussi adapté à la haute-fidélité qu'une patinoire l'est à un concours de château de sable.
Accompagné de Jérémy, rapidement évaporé dans la nature (sans doute a-t-il eu un sixième sens), je me suis armé de mon appareil photo pour documenter ce que j'anticipais déjà comme le Titanic de l'audio 2024. Trois heures durant, tel un anthropologue en territoire hostile, j'ai arpenté les coursives de ce paquebot à la dérive, où les watts se comptent en millions et le bon sens en milligrammes.
Parlons-en, de ces démonstrations qui donnent envie de se reconvertir dans l'écoute de transistors AM. Dans des salles aux propriétés acoustiques dignes d'une cabine téléphonique, des systèmes audio valant le PIB d'un petit État insulaire s'égosillent lamentablement. Imaginez Pavarotti chantant dans votre salle de bains, avec l'acoustique qui va bien, mais en cent fois plus cher. Le plus fascinant ? Voir les visiteurs hocher gravement la tête devant ces aberrations sonores, comme des sommeliers approuvant du Château Margaux coupé à l'eau du robinet.
Le royaume de la vidéo n'est pas en reste. Hisense et TCL, ces géants chinois qui réinventent le noir chaque année, présentent fièrement leurs derniers écrans - déjà obsolètes le temps d'écrire cette phrase. Les commerciaux s'époumonent sur des "innovations révolutionnaires" qui seront bradées dès novembre sur tous les sites de e-commerce. C'est le cycle éternel de la tech : aujourd'hui révolutionnaire, demain obsolète.
La grande innovation 2024 ? Son & Video, dans sa sagesse infinie, a décidé de confronter les mondes en réservant un étage aux sonos et aux instruments. Imaginez le tableau : des audiophiles sexagénaires dissertant sur la chaleur des lampes croisent des DJ post-adolescents parlant compression maximale. Un choc des cultures qui aurait fait sourire Claude Lévi-Strauss.
Après 25 ans de salons puristes, je me retrouve plongé dans cette soupe postmoderne où l'excellence audio se noie dans un bouillon de culture marketing. Les murs du Palais des Congrès résonnent désormais autant des basses des caissons de sono que des soupirs des puristes désabusés.
Je ne peux m'empêcher de rêver à un salon différent. Un événement où la musique ne serait pas qu'un prétexte à exhiber des châssis en aluminium massif et des façades en acrylique rétroéclairées. Un lieu où l'on pourrait réellement apprécier ce pourquoi tout ce matériel est censé exister : l'émotion musicale.
En attendant cette utopie, je continuerai probablement à fréquenter ces salons, tel un masochiste audiophile, espérant secrètement qu'un jour, quelqu'un comprendra qu'un système à 200.000€ mérite mieux qu'une salle de réunion reconvertie.
Si d'aventure certains exposants se reconnaissent dans ces lignes, sachez que je n'ai rien contre vous personnellement. C'est juste que parfois, l'amour de la musique fait mal. Très mal.
Post-scriptum pour les éco-anxieux : ma voiture électrique est rentrée à Reims avec encore 18% de batterie, preuve qu'il reste un peu d'espoir dans ce monde de brutes. C'est probablement la seule performance véritablement impressionnante de cette journée, si l'on excepte la capacité des exposants à garder leur sérieux en annonçant leurs tarifs.
Une dernière pensée teintée d'ironie : pendant que certains débattaient de câbles à 1000€ le mètre, quelque part dans Paris, un musicien de rue faisait probablement vibrer plus d'âmes avec sa guitare désaccordée que toutes les installations du salon réunies.
L'auteur de ces lignes préfère rester anonyme, ses stocks de câbles secteur en argent massif et de cônes d'isolation en béryllium pourraient en souffrir.
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