samedi, 17 mai 2025 09:38

Iiro Rantala : My Working Class Hero

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Iiro Rantala - My Working  Class Hero

 Iiro Rantala - My Working Glass Hero (2015)

Artiste principal : Iiro rantala (pianiste)
Parution : 2015 (Act Music)
Genre : Jazz / Jazz Piano
Note Technique : 9/10
Lien Qobuz : https://www.qobuz.com/fr-fr/album/my-working-class-hero-iiro-rantala/0614427959720

 Mon délire:

Je n’ai jamais trop fait confiance aux matins : on y trouve toujours quelque chose d’un peu définitif, comme la feuille blanche qu’on hésite à noircir ou l’amertume d’un arabica qu’on a laissé infuser trois secondes de trop. Ce matin-là, rue de du Vieux Four à Champigny, la cafetière DeLonghi crépite encore quand je pose le vinyle My Working Class Hero sur ma belle platine Scheu. À la première note de « Norwegian Wood », le piano Steinway que Iiro Rantala a emprunté à feu Alfred Brendel résonne comme la nef de Notre-Dame, un jour de messe sans fidèles : grand, nu, presque insolent de franchise.

Je ferme les yeux ; la ville de mon adolescence remonte doucement – le brouillard d’hiver sur la place d’Erlon, les odeurs mêlées de craie humide et de viennoiseries industrielles, mon premier job d'animateur radio où je sélectionnais des 45-tours pour des auditeurs invisibles. À l’époque, on se disputait pour savoir si Imagine était un manifeste ou une carte postale. Rantala, lui, ne tranche pas : il effleure la mélodie, la laisse flotter comme une bulle de savon avant de la poignarder d’un accord mineur, histoire de rappeler qu’entre rêve et lucidité il n’y a parfois qu’une touche ivoire.

Quand arrive la plage-titre, « Working Class Hero », je me surprends à frapper le bureau du bout des doigts, comme je le faisais en 1981 sur les tables du lycée Clémenceau, transformant l’étude de texte en jam-session de fortune. Le Finlandais, malicieux, saupoudre quelques harmoniques façon blues rouillé ; on jurerait entendre les portails métalliques des ateliers BSN à l’heure de la pause. Ce n’est qu’un piano solo, mais il y circule un souffle d’usine, une rage contenue sous vernis nordique – l’élégance du col blanc, l’âme du bleu de travail.

Je verse une larme (bon, disons une larme et demie ; à mon âge on dose la nostalgie comme le sodium) quand débute « Help! ». Le thème surgit, méconnaissable, après un "clin d’œil stride" qui ferait hocher la tête de Fats Waller ; puis Rantala taille dans le bois mort, ne gardant de Lennon que l’ossature mélodique. Souvenir-flash : août 1974, mes parents m’autorisent à monter le volume sur un petit lecteur de K7 Philips ; la voix éraillée de Lennon couvre les cloches de la cathédrale. Aujourd’hui, même privé de paroles, le morceau me renvoie l’urgence adolescente de « sortir d’ici » – provincial pour toujours, globe-trotter en rêve.

Le disque s’achève sur « All You Need Is Love ». Rantala ralentit, étire chaque intervalle comme on fait durer un dernier baiser sur le parvis de la cathédrale, juste avant le couvre-feu de nos dix-huit ans. Sa main gauche plonge dans les basses, gronde comme un orgue – la réverb’ naturelle de la salle berlinoise où l’album a été capté, un 21 avril 2015, transforme alors mon salon rémois en chapelle désaffectée. J’éteins la platine, la cafetière rend l’âme dans un soupir de vapeur ; je souris en coin : tout ce dont j’avais besoin, finalement, c’était 61 minutes, un bon Steinway, et un Finlandais assez audacieux pour me rappeler que nos héros d’antan n’ont jamais vraiment quitté la scène.

Le café est froid ? Tant mieux. Les matins décidément ont du bon, pour qui sait y glisser un peu de Lennon et beaucoup d’âme.

Ce qu’on entend :

Le son ACT façon microscope – prise de son très proche ; on entend jusqu’au souffle de la mécanique (et parfois le couvercle qui grince). Le Steinway « Alfred Brendel » n’a jamais autant grogné dans les basses ; les fans de dynamique large bande peuvent ranger leur compresseur.

Clin d’œil discographique – Après Lost Heroes (2011) où il rendait hommage à plusieurs idoles, Rantala zoome ici sur un seul héros, à l’occasion (non-planifiée mais heureuse) du 75ᵉ anniversaire de Lennon en octobre 2015.

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